En guise de témoignage à la fois direct et vivant, quelques questions sont posées à Cornélia par son fils Fabien, à propos de la seconde période créative (dite « du Sud ») de Jean Jégoudez.
Lorsque tu as fait la connaissance de Jean Jégoudez au milieu des années 60, y a-t-il un genre particulier d’œuvres qui a vu le jour dans sa peinture ? Peut-on parler d’une unité de composition ou bien y avait-il une multiplicité de supports et de sujets ?
À cette époque, Jean Jégoudez avait déjà transféré son atelier de peinture dans une grande maison à Courbevoie, ayant appartenu à son grand-père. Je n’y suis jamais allée, mais j’ai vu un certain nombre de ces œuvres terminées, qu’il avait ramenées dans son petit atelier parisien. Il s’agissait surtout de peintures abstraites à l’huile, sur toile et parfois sur bois.
Composées à l’aide de différentes superpositions de couches et de couleurs subtiles, elles mettaient très longtemps à sécher – quelques semaines, voire plusieurs mois, selon l’épaisseur des matières. C’était dans l’ensemble des tableaux d’une grande homogénéité : seules les couleurs et les formes variaient. Cette période s’est terminée avec l’expropriation de la maison à Courbevoie en raison de l’élargissement du quai de la Seine en 1965 ou 1966.
Qu’est-ce qui a motivé essentiellement votre départ dans le Sud ? Peut-on dater ce départ ?
La lumière du Midi était un rêve de très longue date pour Jean. Il m’a raconté qu’au cours d’un séjour à Morzine au début des années 30, où il pleuvait à seaux du matin au soir, sa sœur et lui ont persuadé leurs parents de descendre dans le Midi, que la famille ne connaissait pas. Ils sont arrivés ainsi à Sainte-Maxime par un temps radieux, où ils ont choisi un hôtel tout près de la mer. Le dîner était servi sur une terrasse illuminée entourée d’arbres. Jean m’a montré beaucoup plus tard l’endroit, ce premier soir méridional n’avait plus jamais quitté sa mémoire. Ensuite, ce fut la découverte de la Côte, toujours en famille, puis de l’arrière-pays au cours de plusieurs séjours successifs. Une expérience de plus en plus éblouissante. C’est en 1964, lassé de la vie urbaine, que Jean Jégoudez a enfin réalisé son rêve en restaurant une maison en ruine dans l’arrière-pays grassois. Nous nous y sommes installés définitivement en 1970.
Quelle était la place de la peinture dans la vie quotidienne ?
Jean peignait indifféremment à toutes les heures de la journée. Il faisait corps avec la peinture qui était omniprésente. Il y avait des tableaux sur tous les murs disponibles, dans l’escalier et même dans le garage. On parlait beaucoup ensemble des nouvelles œuvres. Jean changeait sans cesse les accrochages, renouvelant l’atmosphère d’une pièce ou avivant un mur. Et il attendait toujours ma réaction ou ton avis ainsi que celui d’autrui en général.
Qu’est-ce qui distingue la dernière période parisienne de la période de créativité qui a suivi ?
Ne disposant pas d’un atelier très grand dans la maison des Veyans, l’abandon de la peinture à l’huile s’imposait au bénéfice de la gouache, plus facile à manier et séchant rapidement. Ce fut le retour au figuratif imaginé : d’abord des visages, des parties ou des contours de visages et souvent uniquement des yeux. Ces compositions deviennent quasiment abstraites, tout en gardant comme élément principal l’œil. Je qualifierais l’ensemble comme une ouverture vers le rêve et une évolution vers l’irréel.
Peut-on dater le point de bascule définitif entre gouache et montée en puissance du dessin ?
C’est à partir des années 80 que Jean Jégoudez abandonne la gouache peu à peu et se met de plus en plus à dessiner. Il emploie surtout des crayons gras, mais il calligraphie également des extraits de poèmes au crayon gris tout en dessinant toujours des visages à l’encre. Un nouveau sujet apparaît : c’est l’arbre qui entre dans une pièce – inspiré initialement par la vue d’un arbre en particulier. Il s’agit de l’olivier sur la terrasse à travers la petite fenêtre de la chambre au rez-de-chaussée. Progressivement, l’arbre se réduira et deviendra tronc. J’ajouterais que, pendant toute sa vie, Jean Jégoudez a pratiqué le dessin d’après nature.
Quand est-ce que Jean s’est arrêté de dessiner, d’après tes souvenirs ?
À partir de l’année 2000, il utilisait des formats de papier ou de carton de plus en plus petits, sentant que son trait devenait moins précis. Les tout derniers dessins de 2003 représentent uniquement des petits visages. Ensuite, l’âge et la maladie ont pris le dessus.